Pulpe N°4 - Automne 2018

40 P eut-être vous attendez-vous à lire qu’en trempant ses lèvres dans une absinthe, l’auteur de ces lignes aurait soudain été saisi d’une subite folie ? Que nenni ! La réputation sulfureuse de cette boisson trouble a été scellée, sans doute à tort, le 28 août 1905 à Commugny lorsqu’un certain Jean Lanfray, vigneron d’origine française établi en Terre-Sainte, rentre chez lui complètement ivre et abat sa femme enceinte et ses deux filles de plusieurs coups de fusil. Son penchant pour l’absinthe fait la Une desquotidiensde l’époque. La Croix-Bleue, alliée aux producteurs devins blancs romands et auxdistillateurs de schnaps alémaniques, part en croisade contre la fée verte. En ligne demire: la thuyone, une molécule présente dans la plante d’absinthe qui rendrait fou. Au printemps 1906, l e s dépu t é s vaudo i s adoptent une loi inter- disant le breuvage. Elle entrera en vigueur dans ce canton le 1 er janvier 1907. L’année suivante, une votation fédérale entérine la prohibition du « lait du Jura » dès 1910. La France suivra cinq ans plus tard. Il aura fallu attendre près de 95 ans pour que la fabrication et la commercialisation de l’absinthe soient à nouveau autorisées en Suisse. La France suivra cinq années plus tard. Pour les historiens et les distillateurs du Val-de-Travers, qui ont perpétué leur savoir-faire dans la clandestinité durant les longues années de prohibition, la thuyone n’était en fait qu’un vulgaire bouc émissaire érigé en démon par les vignerons et producteurs d’alcools forts d’Outre-Sarine, craignant la concurrence de cet élixir populaire prisé par les artistes. Une invention féminine La période de prohibition a peut-être eudubon. Elleacontribuéàperpétuer le mythe tandis que les Vallonniers continuaient à distiller dans la clan- destinité, améliorant leurs recettes au fil des ans pour être en phase avec les goûts des consommateurs. Ce dont on est sûr aujourd’hui, c’est que l’absinthe est bien d’origine suisse. Elle aurait été inventée par des femmes à Couvet. Le nom qui est sur toutes les lèvres est celui de Marguerite Henriette Henriod, une rebouteuse née en 1734, qui aurait créé le premier élixir d’absinthe. En 1798, Daniel-Henri Dubied, qui aacquis la recette, ouvre avec son gendre Henri-Louis Pernod une première distillerie à caractère industriel à Couvet. Ce seront les débuts d’une grande aventure mondiale pour le futur groupe Pernod Fils. La suite est connue. L’absinthe vivra ses heures de gloire au XIX e tant dans lesmilieux intellectuels qu’auprès des classes populaires. Au début du XX e siècle, grâce à Henri-Louis Pernod qui a traversé la frontière franco-suisse avec sa recette en 1805, il se distille pas moins de dix millions de litres d’absinthe à Pontarlier qui sont livrés dans le monde entier. Vers une reconnaissance Si la bleue est à nouveau légale depuis 2005, L’Association inter- professionnelle de l’absinthe, créée la même année, n’est pas au bout de ses peines. Depuis la légalisation, elle milite pour obtenir une AOC, puis une IGP. Mais le chemin est semé d’embûches et de nom- breuses oppositions. L’idée d’une AOC qui limiterait le mot « absinthe » aux productions strictement vallonnières suscite l’ire de la Fédération suisse des spiritueux qui fait recours. En 2014, leTribunal administratif fédéral admet des recours déposés contre lademanded’IGPqui souhaite limiter les dénominations «absinthe», «bleue» et « fée verte» au seul Val- de-Travers. En février 2017, l’Office fédéral de l’agriculture publie la demande d’enregistrement de l’Absinthe du Val-de-Travers en tant qu’indication géographique protégée ( IGP ). La procédure est toujours en cours. La suite au prochain épisode en sirotant une bonne bleue ! L’absinthe L’ALAMBIC

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